Art, association et web communication

Nombre d’artistes ou d’amateurs d’art sont membres d’associations. Ils se demandent, à juste titre, à un moment où la communication sur le web fait débat, dans quelle mesure il est bon d’utiliser ce média pour donner audience à leur activité ou cause. De fait, le secteur associatif est extrêmement concurrentiel, avec 1,5 million d’associations actives en France. Ainsi le besoin de se faire connaître, pour émerger et trouver des adhérents, des moyens, des soutiens est-il réel. Partant de ce constat, si nul ne conteste le caractère incontournable de la communication digitale, il semble aussi opportun de se poser la question de la communication d’une association sur le web, notamment les réseaux sociaux. Le discours ambiant en tresse les éloges. Mais tous les outils numériques ne sont pas pertinents. Il existe autant d’arguments pour en vanter l’efficacité que pour en déplorer les possibles méfaits. Et avant de se lancer dans l’aventure, un dirigeant d’association a tout intérêt à sérieusement s’interroger et analyser les enjeux de leur utilisation pour l’action ou la cause qu’il défend. Car au fond, les réseaux sociaux sont-ils si efficaces ? Et pour quoi ? Gabrielle Mandras, auteur du livre Association culturelle dont la 2e édition parait tout prochainement aux éditions Ars vivens, répond :

« Le monde de la culture, de l’art en particulier, n’est pas réputé fermé aux innovations et provocations. Mais quand il s’agit de gérer son image, son e-réputation, développer sa visibilité, tous les moyens ne sont pas bons. Et il est primordial de mettre en place une véritable stratégie de communication digitale. Sans céder aux sirènes de la facilité sur le web. Certes les réseaux sociaux sont ouverts, faciles d’accès et d’utilisation. C’est appréciable pour une association qui dispose des moyens financiers limités. La contrepartie est qu’ils sont les grands niveleurs de notre époque. Sur l’Internet, tout est équivalent à tout. Les hiérarchies ne sont pas qualitatives. La géographie discriminante disparaît, car les critères de sélection sont ou trop précis au niveau du quartier, de la rue, dans un but de proposer des services géolocalisés, ou trop généraux et englobants. Dans les deux cas, cela correspond rarement aux besoins d’une association, surtout lorsqu’elle œuvre dans le milieu culturel. De plus, elle est mise sur le même plan que toutes les autres. Ce peut être un atout comme un écueil. D’abord, l’association se trouve noyée dans la masse. Les réseaux sociaux demeurent fondamentalement ouverts aux quatre vents. Sur Facebook, Twitter, Instagram ou autre, chacun n’est rien de plus qu’un milliardième d’acteur. Ensuite, pour faire face à cette difficulté essentielle, un système de discrimination fonctionne, basé sur les hiérarchies quantitatives. Sa logique générale de distinction reste le ranking. Il faut être au premier rang. Ainsi une association n’a une chance d’apparaître si elle intervient massivement, régulièrement. C’est une activité ultra chronophage. Enfin, sur les réseaux sociaux, la compétition est féroce. Car c’est la logique du « premier raffle tout ». Les algorithmes de sélection et de classement sont conçus pour favoriser un maximum de trafic bénéfique à la vente de publicité ou de données personnelles. Le but est de provoquer l’émulation pour l’existence.

Alors, ceci dit, pourquoi mettre son association sur une plate-forme de microblogging comme Twitter ? Pour créer un réseau dans le réseau ? Gazouiller, suivre, être suivi, les followers retweet, tout est partagé, aimé, commenté, le tour est joué. Par la magie de l’Internet, l’association existe. Certains l’ont même rencontrée : elle a plein d’amis. En la matière, tout est affaire de stratégie de communication. Si l’activité de l’association s’y prête, ce peut être un bon relais de médiatisation de son action. Mais les mêmes réserves sont à émettre que pour l’usage du blog. L’efficacité du microblogging dépend de la réputation du microblogueur, de la notoriété et qualité des personnes qu’il suit, de la quantité, fréquence et qualité de ses tweets, du nombre et ce l’engagement des followers qui le suivent, etc. l’enjeu n’étant pas de créer une communauté passive, mais un hub de personnes actif qui agisse, réagisse, s’engage, en offrant son soutien à l’association.

La lutte pour le ranking ne doit pas faire perdre le but fondamental qui est de faire fonctionner et développer l’association, d’accroître sa notoriété et aussi sa (bonne) réputation. Il se voit trop souvent des associations dont il est clair que leur action devient de plus en plus liée à leur communication. La logique devient « J’agis pour ma communication » et non plus « Je communique sur mon action ». Loin de nous l’idée que les réseaux sociaux soient inutiles ou néfastes (parfois ils le sont pour une association). Mais il convient de garder à l’esprit le mode de fonctionnement et la logique profonde de ces outils pour pouvoir les utiliser au mieux.

Ainsi la communication par ces moyens virtuels doit être toujours mesurée et évaluée en termes de retombées d’image pour l’association et de mobilisation pour son action. Or, au royaume de la « fast and furious communication », les prises de positions, les exposés vigoureux d’opinions, la farouche défense d’une action virent vite à la confrontation. La logique d’ouverture, de partage, tourne souvent à la mise en scène simpliste et individualiste dominée par l’émotion. Le risque est le discrédit de l’action de l’association. Celle-ci se voit attachée à des idées, des positions qui ne sont pas vraiment ou forcément les siennes. Et pire, pas celles de ses membres ou sympathisants.

Ainsi à participer à des débats, des discussions, de futiles ou vaines polémiques, la pratique montre qu’il en sort rarement une bonne image. Au bout de dix messages, explications, réponses, provocations, le point de non-retour est atteint, parfois à la limite de la vulgarité. Exister, rechercher du ranking à ce prix n’est pas rentable. L’association risque d’y perdre un peu de son âme et beaucoup de ses soutiens. Aussi conseillons-nous d’user de ces moyens de communication digitale avec prudence. Une charte éditoriale concernant l’utilisation des réseaux doit être mise en place afin de modérer, limiter les mises en danger d’image. Et garantir à tous les membres de l’association un engagement conforme aux vœux de la majorité des adhérents. Si une telle charte ne peut être réalisée ou approuvée, mieux vaut abandonner toute idée de communication sur les réseaux sociaux. Et sans regret. La destruction est bien plus rapide et définitive que la construction. Dans cette immense machine niveleuse, une association n’est qu’une infime ouvrière, les réseaux sociaux des marqueurs sociaux impitoyables et sans oubli. Le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle. »

En savoir plus avec le livre de Gabrielle Mandras : Association culturelle – Gabrielle Mandras – ISBN 978 2 916613 48 2 – 2e édition 2019 – 288 p – Ars vivens éd. – Disponible en librairie et le site arsvivens.net

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