Art, contrats et covid

Depuis l’obligation du confinement imposée par le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 (portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19), les déplacements autorisés sont limités et, dans le monde de l’art, nombre de lieux sont fermés, musées, centres et galeries d’art, nombre d’activités sont à l’arrêt ou exercées à huis clos ou à distance, de manière virtuelle, vente d’art, vente aux enchères, expositions, foires d’art. Dans ce contexte, la force majeure serait-elle un argument pour justifier la résolution d’un contrat, la non-exécution d’une obligation ? Que dit la loi ?

Aux termes de l’article 1218 du code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. » Cet article, issu de la réforme du droit des obligations, a repris les critères jurisprudentiels de l’ancien article 1148, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité, délaissant celui de l’extériorité que la Cour de cassation avait déjà écarté (Cass. ass. plén. 14 avril 2006, n° 02-11168). Il exige, pour qu’il y ait force majeure, que l’événement considéré « échappe au contrôle du débiteur », ne puisse « être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat » et ait des effets qui ne puissent être évités « par des mesures appropriées ».
Ceci rappelé, la propagation d’un virus est-elle constitutive d’un cas de force majeure ? Pas nécessairement ni systématiquement. La jurisprudence en matière d’épidémies l’a réaffirmé à plusieurs reprises. Ainsi, le bacille de la peste (Paris, 25 septembre 1996, n° 1996-08159), le virus grippal H1N1 (Besançon, 8 janvier 2014, n° 12-0229), le virus de la dengue (Nancy, 22 novembre 2010, n° 09-00003) ou celui du chikungunya (Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17-00739) n’ont pas été jugés comme provoquant des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure. En résumé, dans ces cas particuliers, les juges ont considéré soit que les maladies étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et leurs effets sur la santé, soit qu’elles n’étaient pas (suffisamment) létales et ils ont écarté qu’elles puissent être invoquées pour refuser d’exécuter une obligation contractuelle. Pour le coronavirus/covid-19, la situation semble toutefois différente. L’ampleur et la gravité du phénomène le donnent à penser. Dès le 30 janvier dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que le covid-19 constituait une urgence de santé publique de portée internationale. À ce jour, plus d’un million de personnes sur la planète sont contaminées et, si la létalité du virus est variable selon les tranches d’âge et différemment appréciée d’un pays à un autre, celle-ci est bien avérée. Au demeurant, il n’existe encore ni vaccin ni médicament pour le contrer et la seule prise en charge consiste à traiter les symptômes. De nombreuses inconnues demeurent et inquiètent. Et les mesures restrictives drastiques prises par les instances dirigeantes du monde entier démontrent le caractère inédit et dramatique de la crise sanitaire.

Cela étant, il appartiendra aux juges, dans les cas d’espèce, d’apprécier la force majeure comme motif valable justifiant la non-exécution de telle obligation ou entraînant la résolution de tel contrat. Rappelons que pour faire valoir la force majeure, il est requis de démontrer le lien qui existe entre l’événement et l’impossibilité d’exécuter (Paris, 17 mars 2016, n° 15-04263). L’épidémie de covid-19 ne justifie pas en elle-même la rupture d’un contrat ou la non-exécution d’une obligation. Nous concevons bien qu’une association qui avait réservé une salle de réunion pour 2000 personnes puisse invoquer la force majeure depuis l’arrêté du 9 mars 2020 qui interdit tout rassemblement de plus de 150 personnes. Comme tel artiste qui devait livrer des tableaux à une galerie d’art fermée ou tel centre d’art qui avait commandé des prestations de traiteur pour le vernissage d’une exposition de peinture annulée. Non tel sculpteur qui devait livrer un bronze achevé et payé ou tel photographe ou illustrateur fournir des photos ou des dessins publiés par un magazine digital. Quant à invoquer le covid-19, des restrictions de circulation ou l’obligation de confinement pour justifier le non-paiement ou le retard de paiement de loyers ou de cotisations sociales, rien n’est moins sûr. A condition de le prouver. Car il est exigé que l’impact sur les résultats d’exploitation « présente un caractère insurmontable et irrésistible susceptible de lui conférer la qualification d’événement de force majeure » (Toulouse, 3 octobre 2019, n° 19-01579). Et si une entreprise invoque des difficultés liées au non-paiement de créances ou redevances par ses propres clients pour justifier son retard de paiement, le caractère avéré de l’épidémie (en l’occurrence Ebola) « même à la considérer comme un cas de force majeure, ne suffit pas à établir ipso facto que la baisse ou l’absence de trésorerie invoquées par l’entreprise, lui serait imputable, faute d’éléments comptables » (Paris, pôle 06, ch. 12, 17 mars 2016, n° 15-04263). Un éventuel manque à gagner ou difficulté de payer doit être étayé. En revanche, un lieu d’exposition qui aurait pour activité de louer ses cimaises ou ses murs aurait de meilleures chances pour invoquer la force majeure si elle en était empêchée par l’interdiction d’ouverture de ses locaux au public (CAA Douai, 28 janvier 2016, n° 15DA01345). Ajoutons néanmoins que la force majeure n’est pas un motif pertinent lorsque l’épidémie préexiste au contrat, vu que l’imprévisibilité s’apprécie au jour de la conclusion du contrat (Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08-02114). Si un galeriste embauche une personne alors que l’épidémie est déclarée et le confinement déjà imposé, ceux-ci ne sauraient valablement justifier la rupture du contrat de travail, quelques temps plus tard, au prétexte que le salarié ne pourrait se rendre physiquement dans les locaux de la galerie d’art. Précisons aussi, qu’elle que soit la gravité de l’épidémie, qu’il est indispensable de se référer aux termes du contrat en question. Il est possible que ceux-ci écartent tout bonnement la force majeure comme cause d’inexécution. Même à considérer que la pandémie et/ou les décisions des autorités constituent des cas de force majeure. En application du principe de liberté contractuelle, les parties sont tout à fait libres de décider que, même dans l’hypothèse de la survenance d’un cas de force majeure, les stipulations contractuelles s’appliquent, notamment les frais et pénalités liées au dédit d’une partie. Il est d’ailleurs fréquent que les exclusions prévues au titre de la force majeure intègrent le risque sanitaire. Enfin, pour conclure sur une note moins sombre, indiquons que la force majeure, par principe, lorsque l’empêchement est temporaire, et espérons vivement qu’il le soit, suspend l’exécution de l’obligation, sans la faire disparaître (C. civ. art. 1218 al. 2). A moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Autrement dit, les obligations qui ne sont de facto présentement honorées (livraison, location de salles, organisation d’événements ou d’expositions, cours à domicile, etc.) sont reportées et devront être réalisées dès que la situation le permettra. Seul un retard rendant inutile ou caduque la prestation ou la vente est susceptible d’entraîner la résolution du contrat. Dans l’hypothèse où l’empêchement est définitif, l’obligation est purement et simplement éteinte, conformément aux articles 1351 et 1351-1 du code civil. Et le régime des restitutions s’applique (C. civ. art. 1352). La prudence impose donc de bien analyser chaque situation contractuelle, avant d’invoquer la force majeure.

En lire plus sur art et contrats in Contrats du monde de l’art, artiste peintre, sculpteur, plasticien – par Véronique Chambaud (Ars vivens, isbn 9782916613413), livre disponible en librairie et sur arsvivens.net
Crédit photos : LR project, 2020