A l’heure de l’enthousiasme des propositions artistiques estivales, se pose inévitablement la question de la rémunération du droit d’exposition des artistes plasticiens. Vrai serpent de mer, la revendication de cette rémunération a refait surface à l’occasion de la révélation, par le ministère de la Culture, le 11 mars dernier, du programme de travail 2021-2022 en faveur des auteurs pour leur accompagnement économique dans le cadre de la crise sanitaire. En effet, parmi les quinze mesures présentées, l’une vise les plasticiens en promettant de « faire aboutir les travaux en cours concernant la rémunération du droit d’exposition des artistes par les musées et les Frac » (mesure 11). S’il est acquis de rémunérer la prestation d’un musicien, d’un comédien ou d’un danseur, de verser des droits d’auteur pour la projection d’un film, la diffusion d’un morceau de musique, la représentation d’une pièce de théâtre, rémunérer la présentation d’œuvres d’art plastique, au sein d’une exposition individuelle ou collective, fait beaucoup moins l’unanimité. Au motif que l’artiste serait rémunéré en notoriété. La notoriété n’a jamais permis de payer de loyer de son atelier. Pourtant le droit d’être rémunéré est consacré par la loi. Droit, mais pas obligation.
Comme évoqué ici dans un précédent billet, le droit d’exposition, fondé sur l’article L 122-1 du Code de la propriété intellectuelle, est l’un des droits patrimoniaux dont est investi tout auteur sur ses créations. L’article L 122-7 du même code précise que le droit de représentation, auquel est rattaché le droit d’exposition, peut être cédé à titre gratuit ou à titre onéreux. Dans ce cas, le principe veut que la rémunération consiste en une participation proportionnelle aux recettes provenant de l’exploitation de l’œuvre ou, à défaut, en une somme forfaitaire. Il n’existe donc, en l’état actuel des textes, pas d’obligation légale de rémunérer un artiste peintre, photographe ou sculpteur lorsqu’il expose ses tableaux, photos ou sculptures.
Précisons néanmoins qu’en décembre 2019, le ministère de la Culture a fait un pas en faveur de la rémunération du droit d’exposition, en recommandant un minimum au bénéfice des artistes dans le cadre d’exposition d’œuvres dans les lieux aidés ou subventionnés par l’État. Le barème retenu fixait à 1 000 euros la rémunération de l’artiste pour une exposition monographique, 100 euros pour la participation à une exposition collective, quelle que soit sa durée, ainsi que 3 % sur la billetterie si les recettes dépassaient le minimum de rémunération garanti.
Ces montants ont été jugés « indécents » par les uns, « insuffisants » par les autres. Et tous s’entendent pour dire que le droit d’exposition mérite une vraie discussion entre les artistes et leurs diffuseurs. Sauf que l’entente se limite à ce constat. Trouver des solutions susceptibles de satisfaire les uns et les autres soulève bien des difficultés. Alors établir une charte de bonnes pratiques serait sans doute un préalable afin que les acteurs de la diffusion artistique, privés ou publics, aient conscience de la nécessité d’assurer une rémunération au bénéfice de l’auteur sur le fondement du droit d’exposition, lorsque celui-ci n’est pas rémunéré par la vente de ses œuvres.
Si rémunérer le droit d’exposition contribuerait, à sa mesure, à soulager certains artistes plongés dans des situations financières difficiles à cause de la crise sanitaire et affirmer la reconnaissance du travail effectué et sa valeur intrinsèque, cela n’aurait toutefois pas que des effets vertueux. D’abord, il existe une grande diversité de diffuseurs artistiques, grandes et petites galeries d’art, centres d’art, associations artistiques, musées locaux ou régionaux, médiathèques, etc. Nombre de petites structures culturelles, qui accomplissent un travail remarquable de présentation et de défense d’artistes émergents, n’auront tout bonnement pas les moyens de le payer. Imaginons les conséquences d’une obligation de rémunération, comme le revendiquent certains collectifs d’artistes. Cela mettrait les diffuseurs d’art dans une logique forcée de rentabilité et/ou les pousserait à ne présenter que des artistes confirmés, bankable, ou à cesser leur activité, faute de budget. Ensuite, il n’est pas dans la vocation d’un artiste d’être assisté, mais de trouver un public et son marché, des amateurs collectionneurs pour acheter et défendre son œuvre et d’être rémunéré par la vente de ses créations. Il convient aussi d’avoir à l’esprit que de plus en plus de diffuseurs participent financièrement à la production des œuvres exposées, pour des montants non négligeables dans lesquels sont souvent intégrés des honoraires pour la création et l’exposition. Enfin, comme c’est malgré tout affaire de bon sens et d’entendement, il faut reconnaître que 1 000 euros peut se révéler une manne pour un artiste ou une simple aumône pour un autre. L’essentiel n’est-il pas que les artistes connaissent leurs droits, les défendent auprès de leurs diffuseurs, et que la rémunération du droit d’exposition soit tranchée au cas par cas ? Et que des mesures soient prises pour dynamiser le marché de l’art pour qu’ils trouvent davantage de débouchés marchands et puissent décemment vivre de leur art ?
En lire plus in Contrats du monde de l’art – artiste peintre, sculpteur, plasticien de Véronique Chambaud (Ars vivens éditions, 5e éd. 2021 – ISBN 9782916613567). Livre disponible en librairie et sur arsvivens.net
Crédit photos : LR project, 2021