L’originalité, condition de la protection juridique d’une œuvre de l’esprit, soulève certaines difficultés d’appréciation lorsqu’elle est appliquée à l’œuvre photographique, en raison du processus particulier de création de celle-ci. Parce que la question nous est souvent posée, nous revenons ici sur un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 13 juin 2017 n° 15/10847, M. X., Bowstir c/ Egotrade).
En l’espèce, Egotrade, une société commercialisant des cigarettes électroniques, a utilisé une photographie représentant Jimi Hendrix, sans l’autorisation de Gered Mankowitz, l’auteur du cliché, ni celle de Bowstir, la société titulaire des droits patrimoniaux, pour l’illustration de visuels publicitaires. L’œuvre a aussi été modifiée, puisqu’une cigarette électronique remplace la clope que tient entre les doigts le célèbre chanteur. Le photographe et Bowstir mettent Egotrade en demeure de retirer les publicités placardées ou diffusées sur l’Internet et l’assignent en contrefaçon.
Rappelons qu’aux termes de l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. Par ailleurs, l’article L 121-1 du CPI dispose que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Et la photographie figure parmi la liste illustrative des œuvres protégeables citée à l’article L 112-2 du CPI qui envisage en son 9° « les œuvres photographiques et réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ». Une photographie doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur pour être considérée comme une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. Même si la réalisation de la photographie suppose nécessairement une exécution mécanique et instantanée, cette empreinte apparaît de multiples façons : choix du point de vue, du cadrage, de l’éclairage, de la mise en scène, des couleurs, des focales ou encore du travail antérieur ou postérieur à la prise de la photographie. Autant d’éléments qui permettent de caractériser la « touche personnelle » de l’auteur, « ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » (cf. CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c/ Standardverlag et alii).
En première instance, le TGI de Paris (3e ch., 21 mai 2015) écarte l’originalité du cliché, lui dénie toute protection. En appel, ce jugement est infirmé : la Cour d’appel de Paris reconnaît l’acte de contrefaçon et redit de facto les conditions d’originalité d’une œuvre photographique.
Si la demande du photographe britannique avait peiné à convaincre les juges en première instance, en évoquant une « œuvre aussi extraordinaire que rare », une « œuvre fascinante et d’une grande beauté qui porte l’empreinte de la personnalité et du talent de son auteur », en appel, sa stratégie eut le mérite d’être plus percutante, convaincant les juges d’appel de son originalité. Les appelants ont ainsi défendu que c’est le photographe « qui a organisé la séance au cours de laquelle la photographie dont s’agit a été prise, au mois de février 1967, qui a guidé et dirigé Jimi Hendrix dans la prise de vue et qui lui a demandé de prendre la pose reproduite sur la photographie en cause, avec un demi-sourire et les yeux mi-clos, une bouffée de la cigarette qu’il tient dans sa main gauche, sa main droite soutenant son bras gauche au niveau du coude », qui « a choisi de prendre la photographie en noir et blanc afin de donner plus de contenance à son sujet et donner de lui l’image d’un musicien sérieux et que le photographe a opté pour un appareil photo Hasselblad 500c avec un objectif Distagon 50e afin d’apporter une touche de grand angle au portrait sans créer de distorsion », qui « a choisi le décor, l’éclairage, l’angle de vue et le cadrage ».
Pour la Cour, ces éléments établissent que la photographie est le résultat de choix libres et créatifs opérés par le photographe traduisant l’expression de sa personnalité, caractérisant ainsi l’originalité du cliché. Il n’est plus fait référence au mérite de l’œuvre, mais seulement au parti pris esthétique de son auteur. L’originalité de la photographie se discerne dans les détails techniques, choix de l’appareil et de l’objectif, ainsi que dans la volonté affirmée de réaliser un cliché en noir et blanc. Ce sont également le décor, l’éclairage, l’angle de vue et le cadrage qui témoignent des choix opérés par l’auteur et qui font reconnaître que le cliché est bien une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. Il est toutefois déroutant que les juges précisent « que ces éléments, ajoutés au fait, non contesté et établi par les pièces versées aux débats, que [l’auteur de la photographie] est un photographe reconnu au plan international, notamment pour avoir été le photographe des Rolling Stones, dont les photographies jouissent d’une forte notoriété ». Ce faisant, la Cour ajoute-t-elle un indice à la caractérisation de l’originalité, celui de la réputation du photographe ? Or le mérite de l’œuvre est une condition d’accès indifférente à la protection (CPI art. L 112-1). Cette indifférence au mérite de l’œuvre doit naturellement être étendue au mérite du photographe. Le fait d’être un artiste réputé est sans conséquence sur l’originalité des œuvres qu’il réalise, quand bien même ce critère de la notoriété s’intégrerait au sein d’un ensemble d’indices plus larges, comme c’était le cas en l’espèce. Car l’appréciation de l’originalité se fait œuvre par œuvre et ne découle pas d’un critère relatif à l’expérience de l’auteur. Un auteur d’une grande notoriété ou d’un grand talent ne fait pas pour autant systématiquement des œuvres originales. Et un illustre inconnu peut fort bien faire œuvre d’originalité.
Approuvons toutefois que cet ensemble d’éléments permette de défendre les droits du photographe et, ce faisant, de sanctionner sur le terrain de la contrefaçon l’entreprise qui a utilisé le cliché sans autorisation. Celle-ci fut condamnée à payer 50 000 € de dommages intérêts au titulaire des droits, en réparation du préjudice patrimonial et 25 000 € à l’auteur, en réparation du préjudice moral, assortis de l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter la photographie originale de Gered Mankowitz.
En savoir plus sur les droits des photographes et les conditions de l’originalité de la photo d’art : Contrats du monde de l’art / photographe – Véronique Chambaud – ISBN 978 2 916613 390 – éd. Ars vivens – Disponible en librairie et sur arsvivens.net